Source : http://mullasadra.blogspot.com/2009/07/shii-ethics-in-21st-century-beyond.html
L’islam chi’ite a été un courant minoritaire pendant des siècles, les rares glorifiés défendant la lumière dans un monde d’obscurité, qui adhère à la dévotion et à la cause des amis de Dieu, qui promeut l’idée d’être des agents vertueux dans le monde ; des adhérents dont la foi est sans cesse testée sur la voie qui mène à celle d’un muʾmin mumtaḥan. La poursuite de la liberté morale et l’excellence était le chemin vers la réalisation du soi, vers une manière de vivre réfléchie et vers un engagement à vivre la walāya à logique multiple (?) des Imams. Le chi’isme contemporain se retrouve à l’opposé de cette tradition, forcé de récidiver entre ghuluw et taqṣīr, piégé par le dilemme de considérer la foi comme un rejet d’outre-monde de ce monde dystopique, ou comme un appel à établir un système utopique de croyants qui hériterait et réaliserait le véritable but de la création, ou si la foi consiste à exprimer une contre-vérité dissidente et opposée au pouvoir illégitime, ou apporte-t-elle un fondement à l’autorité qui justifie l’exercice de son pouvoir dans un état moderne.
L’éloignement de la morale et de la spiritualité du cœur de l’individu dans ce présent désacralisé n’est pas un phénomène particulier qui ne touche que l’islam chi’ite, en effet ce dont je souhaite parler existe aussi dans les développements récents de l’islam sunnite, des religions de l’Inde etc ; il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel.
Cependant, les termes particuliers des traits, que je considère comme freins à la pleine réalisation du soi moral chi’ite à notre époque, sont ancrés dans les contingences historiques du chi’isme moderne. Je souhaiterais que le lecteur considère cette contribution comme une introspection provocante, une recherche de l’essence de soi-même, et surtout une matérialisation de la célèbre déclaration qui incite à l’action : « man ʿarafa nafsahu fa-ʿarafa rabbahu ».
En tant que tel, je ne nierai pas qu’il soit ici davantage question d’une polémique que d’une considération dépassionnée et académique sur la nature de l’éthique, la jurisprudence et la Loi dans l’islam chi’ite contemporain. En même temps, je ne prétends pas exprimer quelque chose de nouveau, nombreux sont ceux qui, avant moi, ont déjà montré du doigt le malaise de notre situation (ndt. en tant que chi’ites) et d’autres, sans aucun doute, continueront à le faire.
Je considère que les développements (ndt. dans le monde musulman ?) depuis le 19ème siècle, en particulier, semblent menacer à notre époque la nature des communautés chi’ites et leurs croyances à travers un effacement de la tradition susmentionnée dans deux domaines clés qui sont la jurisprudence et la loi. À travers différentes sources, certains des thèmes qui m’intéressent ici ont déjà été discutés par mes collègues.
La crise de l’autorité qui émerge des contestations autour de la marja’iyya est symptomatique de la détérioration de l’individualité chi’ite (ndt. ce que signifie « être chi’ite » pour un chi’ite) dans le monde contemporain, ou plutôt dans la perte de confiance liée au caractère minoritaire d’aliénés dans ce monde. Nous vivons à une époque d’anéantissement de l’individualité où l’interrogation sur comment mener une vie authentique et ce que signifie être chi’ite est associée aux politiques identitaires culturelles et non à la poursuite d’une liberté morale. Les dichotomies fondamentales nécessaires à la compréhension de la nature de ce monde ont été négligées alors qu’elles faisaient partie des traditions intellectuelles que nous avons héritées et, sans doute, méritent qu’elles soient rappelées.
- la complémentarité entre ḥaqq et ḥaqīqa, c’est-à-dire la réalité divine sous-jacente et la réalité apparente du cosmos – en d’autres termes, l’idée d’un dieu juste et bienveillant qui produit un monde bienveillant et juste qui nous permet de remplir nos obligations morales en atteignant le zénith de notre humanité
- le désir de voir les deux pôles de ce monde comme une poursuite de la compréhension et de la reconnaissance du wujūd et de la walāya, c’est-à-dire l’être et le devenir, en cherchant un équilibre entre la transcendance et l’immanence du divin
- la nécessite d’un équilibre entre l’ésotérique et l’exotérique, sans chercher à pénétrer trop loin dans le cœur de l’un ou à exprimer une hostilité envers l’autre
Bien évidemment, il existe une forme d’idéalisme et d’élitisme, peut-être de l’essentialisme dans ce que j’ai dit, mais l’institution de la marja’iyya, privilégiant la jurisprudence sur toutes autres choses dans les madrasas, la politique religieuse et le gouvernement au cours des dernières décennies, traduite dans la théorie de l’État connue sous le nom de wilāyat al-faqīh, a confisqué aux croyants ordinaires leur liberté et leurs obligations morales, nous laissant dans une situation de dépendance envers une poignée d’individus, dont certains ont une éthique morale douteuse, pour accomplir notre humanité, en remettant entre leurs mains nos responsabilités individuelles et collectives.
Ce qui m’intéresse c’est de savoir comment amorcer le tournant éthique et revitaliser les communautés, la pensée et la vie spirituelle ; une exigence de nos communautés en Europe et en Amérique du Nord, mais aussi de celles du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud. Qu’il y a une réalité, cela n’est pas contestée, mais celle-ci n’est pas donnée, admise et acceptée, mais plutôt à être interrogée et rendue public. Comprendre et donner du sens à cette réalité demande une herméneutique critique qui assure un équilibre entre les trois divisions proposées précédemment. Je souhaiterais formuler quelques suggestions axées sur le tournant éthique et l’herméneutique impérative du texte pour notre époque.
Dans un premier temps, je souhaite poser un diagnostic sur le tournant légaliste et le changement de la politique étatique dans l’histoire moderne (ndt. du chi’isme ?).
1. Le tournant légaliste
Que la communauté chi’ite, dans son ensemble, soit devenue une population de gens qui se plient à la législation (ndt. islamique) est difficile à nier. Il serait à moitié ironique de reconnaître que dans certaines demeures chi’ites la présence d’un risāla ʿamaliyya sur l’étagère est plus marquée que d’autres œuvres. Le site web de Sayyid Sīstānī par exemple occupe une place particulière dans les favoris de nombreux navigateurs chi’ites.
Je me souviens, alors que j’avais dix ans, assistant aux cours au madrasa, tous les dimanches à Hammersmith, nous étions à peine sensibilisés aux fondamentaux de la foi ou à la signification à donner au fait d’être un chi’ite à Londres. À l’inverse, on nous demandait de mémoriser le risāla de Sayyid Khūʾī, même si un exercice de mémorisation en lui-même, mais avec une implication assez limitée pour notre futur. Vous pourriez penser que je généralise à partir d’une expérience d’une personne de classe moyenne originaire de l’Asie du Sud, mais cette compréhension anecdotique est corroborée par bien d’autres personnes ayant grandi en Iran, en Iraq ou dans d’autres contextes. Les détails de ce conformisme (ndt. taqlīd ?) est prioritaire sur la compréhension basique du concept central de l’islam chi’ite, qu’est la walāya.
L’importance donnée au sein de la ḥawza à la loi positive (fiqh), la jurisprudence, la théorie légale et à l’herméneutique qui comprend aussi l’uṣūl al-fiqh n’est pas entièrement un phénomène nouveau et il ne fait aucun doute qu’elle répond aux exigences quotidiennes des croyants. La foi a été par conséquent réduite à la législation.
Le slogan selon lequel l’islam fournit un ensemble intégral de règles et recommandations pour la vie du croyant fait de la notion de shariʿa une totalité, mais aux mains de quelques juristes privilégiés. Cela a pour effet de télescoper le fiqh dans un mécanisme qui couvre chaque aspect de la vie, jusqu’au point où ces dernières décennies, sa portée fut également étendue à la sphère publique, à l’espace politique et au monde de la finance.
Quelles sont les caractéristiques de cette obsession du fiqh ?
- L’analyse étroite du texte par les érudits où le contexte n’est autre que le texte lui-même et la tradition juridique qui discute le texte. Très peu d’efforts est fait pour juger de la pertinence du texte et d’essayer de le situer soit historiquement soit dans le présent. L’herméneutique du texte renvoie sans doute à une lecture et à une compréhension variable, mais en pratique elle est évitée.
- Le double mécanisme de l’ijtihād et du taqlīd ne produit pas d’agents moraux, mais des êtres infirmes dont la responsabilité de leurs actions a été abolie par les juristes qui se sont chargés de ce fardeau. Nous ressentons (ndt. en tant que chi’ites) de la fierté pour avoir gardé en vie la tradition de l’ijtihād pendant des siècles, pourtant la pratique du raisonnement légal indépendante est minime. Le caractère provisoire de la plupart des développements de l’uṣūl al-fiqh traditionnel a été rendu permanent. Il n’existe aucun ijtihād pour ainsi dire, aucune nouvelle pensée, et certainement pas d’herméneutique créative dans l’uṣūl. Il ne fait aucun doute que l’un des facteurs qui explique cette situation est le mode d’enseignements et de formation des juristes dans le ḥawza.
- L’institution de la marjaʿiyya, qui est un phénomène récent je dirais et le fut déjà démontré par Ahmad-Kazemi Moussavi [1] et bien d’autres, trouve son origine chez Mīrzā-ye Qummī, Shaykh Najafī et Shaykh Anṣārī au 19ème siècle. Elle a conduit à l’abandon de la responsabilité morale et à la pratique de l’imitation légitimée par l’herméneutique traditionnelle, appelée également taqlīd. Elle a aussi favorisé les scandales de corruption, d’indécence, de laxisme moral de la part des représentants des marājiʿ et en effet les marājiʿ eux-mêmes se plaignent parfois de cette institution. Les conditions d’existence de la marjaʿiyya établies dans les travaux d’uṣūl ont tout simplement failli à leurs propres définitions. En pratique, ce n’est ni l’aʿlamiyya, ni la taqwā ou la waraʿ ou toute autre vertu élevée qui définit un marjaʿ, plutôt la somme d’argent brut levé grâce au khums, les organisations sociales et politiques et les astucieuses manipulations. Par exemple, si en effet Shaykh Fayyāḍ est le plus érudit et le plus pieux uṣūlī à Najaf comme beaucoup le prétende, pourquoi n’est-il pas tout simplement au-dessus de tous les marājiʿ ?
- Nous sommes devenus des personnes obéissantes (ndt. à la sharʿia) mais pas des personnes morales. Les éléments de langage sur la moralité se limite aux valeurs se trouvant entre le ḥarām et le wājib. Il y a très peu de réflexion sur ce que pourrait signifier de mener une vie éthique. Le fiqh est devenu un véhicule pour comprendre et remplir nos obligations morales, nos taklīf, ce fardeau que nous devrions placer sur nous-mêmes une fois qu’une décision rationnelle a atteint le degré de croyance. Mais cela n’a pas la même extension que l’éthique en tant que telle. La réduction en islam de l’éthique au fiqh pose un problème fondamental. Certains au 19ème siècle, au nord de l’Inde ont essayé de trouver un équilibre en insistant sur l’akhlāq et l’ādāb, mais cela est resté un discours élitiste et fut rapidement oublié.
Il n’est pas non plus suffisant d’épargner les disciplines non-juridiques du ḥawza. La tendance vers la ḥikmat et l’ʿirfān n’apporte aucun équilibre à l’importance donnée au fiqh, mais devient une expression d’une spiritualité farouche extra-légale.
2. L’analyse des disciplines rationalistes (maʿqūlāt) par les érudits
Avant que j’entame le thème du changement étatique, il reste à montrer les conséquences du tournant légal sur le savoir dans les séminaires religieux.
Les irrégularités tant dans le domaine de la philosophie que de l’éthique/la politique au sein du ḥawza est problématique. Les idées sont répétées et tout comme dans les départements académiques modernes de philosophie, les élèves sont formés à l’histoire de la pensée mais sont rarement invités à penser par eux-mêmes. La domination de l’école philosophique de Mullā Ṣadrā est l’un des problèmes centraux. Shirazi, assez brillant mais imparfait n’a pas échappé aux suppositions spectaculaires ni aux abus de sa postérité. Sa méthode philosophique du tashkīk a été interprété comme un système et est devenue l’étalon de la philosophie chi’ite comparée et assimilée à tout et n’importe quoi de l’Advaita Vedanta à Thomas d’Aquin ou à Wittgenstein. Cependant, pour Mullā Ṣadrā notre herméneutique du Coran et du cosmos est intrinsèquement instable. Notre compréhension de la réalité est éphémère ; sa réification et son essentialisation sont une déformation volontaire. La condamnation ferme du taqlīd intellectuel exprimé par Mullā Ṣadrā semble avoir été totalement oublié. Il existe un vrai manque d’indépendance dans les affaires intellectuelles et celles qui sont originales mais marginalisées.
Permettez-moi de citer un exemple, de nouveau le nord de l’Inde. Sayyid Murtażā Nawnehravī était l’un des penseurs chi’ites le plus créatif du début du 20ème siècle. Il a été formé dans le programme du dars-e niẓāmī en Inde mais avait passé une bonne partie de sa vie dans sa ville natale de Ghāzīpūr, dans la partie orientale de l’Uttar Pradesh.
Son œuvre Miʿrāj al-ʿuqūl fī sharḥ duʿāʾ Mashlūl [2] publié à Ghāzīpūr en 1914 est un texte magnifique, perpétuant une tradition mémorable de réflexion philosophique à travers l’exégèse. L’œuvre fut négligée, les copies sont rares à trouver et lui-même n’est jamais parvenu à obtenir une quelconque reconnaissance à Lucknow, centre intellectuel de l’islam chi’ite en Inde.
La raison en est claire : sa méthode indépendante d’esprit d’aborder les textes et son époque. Il a rédigé des écrits sur la pureté rituelle des Hindous et a encouragé le dialogue social contre l’isolationnisme des ʿulama de Lucknow. Il avait même condamné de manière virulente le sacrifice des vaches. Il avait également commis l’erreur de critiquer sévèrement les deux idoles de la hiérocratie chi’ite sur des questions de croyances et de théologie rationnelle, à savoir ʿAllāma Majlisī et Ghufrān Maʾāb Sayyid Dildār ʿAlī Naqvī.
En fin de compte, une œuvre qui fut en vrai libératrice aussi bien au niveau de la jurisprudence que de l’herméneutique, avec une vision spirituelle et contemplative de la vie, éloquente dans sa composition en langue arabe, n’est même pas connue des spécialistes.
3. Une nouvelle théorie politique, la wilāyat al-faqīh
Même si la relation entre le chi’isme et la politique n’est pas quelque chose de nouveau, la célèbre théorie de l’autorité légitime du juriste, appelée wilāyat al-faqīh, marque un changement étatique majeur dans la pensée chi’ite et constitue le corollaire de l’aboutissement absurde de la marjaʿiyya. Je ne souhaite pas revenir sur cette théorie qui demanderait à être introduite adéquatement, au lieu de cela je me limiterai à quelques remarques critiques.
- Le contexte juridique de l’émergence de cette théorie est manifeste et représente une nouvelle ouverture dans le domaine du fiqh civil. Cependant, cette théorie politique qui s’appuie sur l’idée qu’un dirigeant doit être un juriste qualifié, donc une conception qui envisage les compétences du pouvoir politique selon une approche légale, voit celui-ci comme un juge et un arbitre. En somme, cette théorie a très peu à voir avec les conceptions traditionnelles chi’ites de l’autorité et est plus proche de la conception sunnite du califat, au 20ème siècle, ce fut l’idée de Rashīd Ridā. Il avait proposé que le chef d’état devait être un mujtahid, ce qui rapproche sa position de la wilāyat al-faqīh. Au-delà de cette similarité, l’Ayatollah Dr. Muḥsin Kadīvar a fait un excellent travail dans son Naẓariyya-hā-ye dawlat dar fiqh-e shiʿeh pour contextualiser cette théorie et la placer parmi tant d’autres.
- Alors qu’il ne fait pas de doute qu’il s’agit là d’une théorie politique originale, le manque de philosophie politique sérieuse au sein du chi’isme post-ghayba a été maintes fois porté à la connaissance du public par un certains nombre de penseurs, y compris Sayyid Javād Ṭabāṭabāʾī, Sayyid Muḥammad Khātamī et Jamīleh Kadīvar, mais n’a pas eu l’effet escompté.
- La wilāyat al-faqīh représente l’aboutissement du renoncement à la morale individuelle et à la responsabilité collective initiée par la marjaʿiyya. Et d’autant plus qu’elle infantilise les croyants dans un acte ultime de condescendance. Dans la tradition chi’ite, ce sont les mineurs et les personnes intellectuellement réduites qui nécessitent la protection des membres importants de la communauté, en particulier les juristes considérés comme les représentants de l’Imām. Au même moment, il existe une contradiction de circonstance. L’Ayatollah Mahdī Ḥāʾirī Yazdī dans son excellente critique intitulée Ḥikmat va ḥukūmat [3], et publiée à Londres en 1996, écrit que d’une part cette théorie considère les citoyens comme des enfants et comme des personnes ayant une déficience intellectuelle, mais en même temps leur accorde le droit démocratique de vote pour déterminer qui sera le valī-ye faqīh.
- Bien évidemment, une fois que nous obtenons une conception maximaliste de l’autorité absolue du juriste, les choses prennent une tournure inattendue. Le pouvoir du juriste peut aller au-delà de la politique constitutionnelle et parlementaire, et au-delà de la transparence et de la responsabilisation dans la séparation des pouvoirs. Son autorité sur les rites basiques de la foi devient un moyen de violation complète de l’éthique.
Avant de conclure sur le tournant éthique et sur la nécessité d’une nouvelle herméneutique, je me permets une digression sur la crise de la liberté morale.
4. L’authenticité culturelle contre la poursuite du bien
Dans nombreuses de nos communautés (ndt. chi’ites) nous avons sacrifié la poursuite du bien et la pratique de la liberté morale en faveur d’une politique identitaire de l’authenticité culturelle. Un exemple parlant et controversé est la pratique du taṭbīr. La demande pour une authenticité culturelle et exclusive des pratiques chi’ites légitimée par le gouvernement peut être observée au Pakistan, en Inde et à Bahreïn, où des alliances politiques, hostiles au bien-être des croyants et qui ont échoué à mettre en place le développement de la liberté morale, ont été nouées au nom d’une authenticité culturelle. Les droits et les demandes des citoyens faites au gouvernement dans la sphère publique ont été abandonnés contre l’indulgence pour la pratique du taṭbīr. Je ne suis pas en train de faire des jugements de valeur sur le caractère moral ou légal du taṭbīr, mais j’essaye de mettre en évidence la myopie d’une telle position.
Comment rétablir notre liberté morale ?
Conclusion
- Le taqlīd doit être abandonné et la responsabilité morale individuelle de soi-même et de nos propres actions doit être reconquise. Après tout, nous nous tiendrons seuls devant le Seigneur. Mais cela ne signifie pas que nous devrions jeter le fiqh dans la poubelle de l’histoire, au contraire nous devrions être plus critiques envers les juristes et plus regardants.
- Le gouvernement (ndt. iranien ?) doit devenir soit neutre tout en respectant la liberté morale, soit faciliter la poursuite du bien commun, et non être un obstacle. La wilāyat al-faqīh considérée comme une expérimentation à grande échelle a échoué, et nous devons chercher un autre modèle. Le travail intellectuel à réaliser dorénavant est celui de séparer ce concept (ndt. l’autorité légitime du juriste) de la théologie de l’Imamat, une confusion et un amalgame entretenus par des juristes comme l’Ayatollah Miṣbāh et l’Ayatollah Javādī Āmulī.
- Les croyants doivent gagner en autonomie afin de jouir de leur liberté morale et le rôle de l’éducation est primordial pour leur apporter les outils intellectuels leur permettant de comprendre leur situation. Il faut privilégier une culture intellectuelle de la critique en donnant à la philosophie une place centrale et en formant les gens sur les fondamentaux de leurs croyances, en particulier sur les deux aspects suivants de la théologie, à savoir la compréhension de la condition humaine au sein du cosmos et les grandes questions sur la nature de Dieu, sa révélation et sa manière d’interagir avec nous. Nous avons besoin de ʿulama (savants) qui soient d’abord des théologiens capables d’intervenir dans la sphère publique et non des juristes ou des juges.
- En conclusion, nous devons avoir une attitude plus sophistiquée vis-à-vis du texte (ndt. Coran ?) et accepter l’idée que notre compréhension de notre situation et de ce que nous sommes évolue dans le temps. En conséquence, notre rapport au texte doit être aligné en fonction des horizons de nos expériences. Parfois, les silences du texte doivent être acceptés et à d’autres occasions les bruits que le texte fait doivent simplement être ignorés, avec courtoisie.
[1] Moussavi, A. K. (1985). The Establishment of the Position of Marja’iyyt-i Taqlid in the Twelver-Shi’i Community. Iranian Studies, 18(1), 35-51 ; Moussavi, A. K. (1996). Religious authority in Shi’ite Islam: from the office of mufti to the institution of marjaʿ. International Institute of Islamic Thought and Civilization.
[2] L’Ascension des Intellects : Commentaire sur la Supplication du Boiteux.
[3] Hikmat wa hukumat (Philosophie et Gouvernement), London, 1995. Il s’agit du dernier livre écrit par l’Ayatollah Mahdī Ḥāʾirī Yazdī.
Biographie de l’auteur
Dr. Sajjad Rizvi est professeur en Études Islamiques et d’Histoire Intellectuelle Islamique à l’Université d’Exeter, il est également directeur du Centre for the Study of Islam. Spécialiste de la pensée de Mullā Ṣadrā, il a obtenu sa thèse de doctorat en 2000, à l’Université de Cambridge.