Avr 11, 2021 Articles publiés

Les imāms chi’ites, d’intermédiaires de l’éclat divin à de simples savants vertueux


Résumé de l’article : Il existe trois principales approches chez les chi’ites duodécimains sur la question du concept théologique de l’imāmah. Le premier groupe a tendance à accepter le plus haut degré de l’imāmah et confère à ce concept une extension maximale. Le second groupe adhère à une voie intermédiaire comparée à la première. Le troisième groupe croit que les Ahl al-Bayt ne sont rien de plus que des savants vertueux (ʿulamāʾ abrār).


Source : Iḍāʾāt fī al-fikr wa al-dīn wa al-ijtimāʿ, vol. 1, pp. 44-49 [1].


L’occultation du Mahdi n’accorde-t-elle pas une dimension divine au statut des imāms chi’ites, en particulier au vu de son retrait temporaire de la vie des gens et de sa tutelle sur ces derniers ainsi qu’en raison de son autorité sur l’humanité tout au long de sa noble vie ? Cette même dimension divine que vous cherchez à réfuter et dont vous montrez dans vos livres et dans vos articles qu’il n’existe pas de preuves suffisantes [2][3].

Il existe depuis toujours, et surtout de nos jours, trois principales approches chez les chi’ites duodécimains sur la question du concept théologique de l’imāmah, sur ses particularités, sur la compréhension à en avoir et sur l’interprétation à en donner.

1. La première approche

Ceux qui partagent cette approche ont tendance à accepter le plus haut degré de l’imāmah et confèrent à ce concept une extension maximale. En plus de croire que les imāms chi’ites sont des intermédiaires de l’éclat divin (wasāʾiṭ al-fayḍ al-ilāhī), ils croient que :

1) ils sont une manifestation des noms et des attributs divins

2) ils ont une autorité sur les champs de l’existence

3) ils sont les rois de ces champs et administrent toute l’existence

4) ils connaissent les choses de la réalité suprasensible (ghayb), c’est-à-dire ce qui était et ce qui sera jusqu’au jour de jugement

5) ils ont connaissance de toutes choses, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, y compris une connaissance de toutes les langues possibles

6) ils sont des législateurs indépendants de lois islamiques, même après le décès du saint-Prophète

7) ils sont identiques au Noble Coran et rien de plus

8) ils sont des muḥaddathūn, c’est-à-dire qu’ils peuvent entendre les Anges

9) les Anges descendent sur eux et leur remettent des rapports sur les actions de leurs fidèles en tout temps

10) ils sont la pièce maîtresse de la grande chaîne du système d’existence

11) ils sont infaillibles, protégés de manière absolue de tous les péchés, les erreurs et les oublis

12) ils ont été créés sous la forme de lumières avant la création de l’univers

13) ils demanderont des comptes aux gens le jour de jugement par ordre divin et l’humanité retournera à eux

14) leur vie est prédominée par un système de miracles (karāmāt) et d’activités suprasensibles, ainsi il est impossible de comprendre la nature des imāms chi’ites

15) les Compagnons du saint-Prophète et les Mères des Croyants ont apostasié et sont devenus des mécréants, à l’exception de quelques personnes

16) les sunnites sont des mécréants, en réalité, même si les chi’ites duodécimains les considèrent autrement sur la base de leur appartenance apparente à l’Islām

Il existe des divergences au sein des partisans de cette première approche en ce qui concerne les éléments cités ci-dessus. Ils s’appuient sur un nombre assez important de preuves, dont certaines sont de nature philosophique et parfois mystique. Ils s’appuient également sur un nombre important de aḥādīth chi’ites et non-chi’ites. Ils ont des interprétations spécifiques du Noble Coran sur lesquelles ils s’appuient pour défendre leurs croyances. Les partisans de cette première approche ne sont pas uniquement représentés par une minorité de savants, de grands savants de la kalām, des théologiens, des philosophes, des mystiques et des juristes en font partie.

2. La seconde approche

Les partisans de cette approche adhèrent à une voie intermédiaire comparée à la première. Ils croient que l’imāmah est une extension de la mission prophétique, protectrice de cette dernière et une continuité nécessaire à l’accomplissement du projet initial ; cela est nécessaire et non une option. De ce point de vue, l’imāmah se limite à la gestion des affaires terrestres et spirituelles des gens, uniquement sur le plan social et non sur le plan existentiel ou cosmologique. Les croyances requises par cette approche sont :

1) l’imāmah est une désignation divine à travers une révélation à son Messager et les imāms chi’ites sont infaillibles, purifiés de tous péchés, de manière absolue, et de toutes erreurs dans la transmission de la religion

2) ce sont des sources d’autorité (marjaʿīyyat al-ʿilmīyya) pour la religion qui fut descendue sur le saint-Prophète et par conséquent il est nécessaire de se référer à leur sunna qui est une explication et une élucidation parfaite du Noble Coran et de la Sunna du Messager

3) l’obligation de leur obéir et de croire en leur tutelle (wilāya) sur les gens car ils sont les vrais dirigeants de la ummah après le décès du saint-Prophète, en contrepartie la ummah leur doit obéissance en ce qu’ils ordonnent et ce qu’ils interdisent ; il s’agit de leur autorité politique et administrative (marjaʿīyyat al-sīyasīya wa al-idāriya)

4) l’obligation de l’amour envers eux et d’une affection sincère conformément au verset de la mawadda (42:23) ; la ummah doit les traiter avec amour et compassion, qui se manifestent dans les commémorations ou rituels (shaʿāʾir) tels que ʿāshūrāʾ ou la visite pieuse de leurs mausolées et en dévoilant au monde les oppressions qu’ils ont subies ; il s’agit de l’autorité spirituelle (marjaʿīyyat al-rūḥīyya)

6) la croyance en l’imāmah est un signe de l’attention et de la grâce divine, ainsi les miracles et les bénédictions peuvent provenir des imāms chi’ites ; les croyants formulent à Dieu leurs besoins et l’implorent grâce à l’intermédiation des imāms chi’ites et des prophètes – toutefois, une grande partie de la vie des imāms chi’ites se déroule suivant les lois de la nature et ne s’appuient pas sur les lois du suprasensible car ce sont avant tout des êtres humains comme nous tous, exceptés leur statut auprès de Dieu, leurs bénédictions et leurs vertus

7) la croyance en l’usurpation du califat après le décès du saint-Prophète – toutefois, la chose la plus importante de nos jours est celle de mettre l’accent sur l’autorité spirituelle et religieuse des Ahl al-Bayt au sein de la ummah et de s’abstenir de tout débat historique (sauf pour ceux qui mènent des recherches dans ce domaine), ne pas participer aux conflits sectaires et ne maudire aucune personnalité du passé, mais plutôt dire : « C’est là une communauté qui a déjà passé : à elle ce qu’elle a acquis et à vous ce que vous avez acquis, et l’on ne vous demande [rien] sur ce qu’ils faisaient [eux]. » (2:134), tout en se dissociant de ces personnalités et en montrant de l’indifférence pour elles, sans rien prendre de leurs actions ni s’inspirer de leurs exemples dans ce qu’elles ont accompli

En résumé, le saint-Prophète a désigné ʿAlī en tant qu’imām, suivi de onze imāms après lui, lesquels étaient tous infaillibles dans la transmission de la religion, dans leur conduite éthique et que la ummah a failli en écartant les imāms chi’ites de l’exercice de leur autorité religieuse et en négligeant la connaissance qu’ils avaient à transmettre, alors qu’ils étaient les meilleurs commentateurs du Noble Coran et de la Sunna prophétique.

Les partisans de cette seconde approche ne croient pas en la tutelle existentielle des Ahl al-bayt (wilāyat al-takwīnīya), ni en ce qu’ils possèdent un accès à la connaissance du suprasensible, ni qu’ils étaient des lumières, ni qu’ils ont une connaissance absolue de toutes choses, ni que l’humanité devra leur rendre des comptes, ni qu’ils puniront ou récompenseront le jour de jugement, ni qu’ils sont une manifestation des noms et des attributs divins, ni qu’ils sont ceux à qui sont destinées les supplications (duʿāʾ) des croyants, mais plutôt qu’elles sont destinées à Dieu uniquement – et ils ne croient pas en certaines croyances défendues par les partisans de la première approche.

Tout comme la première approche, il existe des divergences au sein des partisans de la seconde approche. Dans ce qu’ils défendent, ils s’appuient sur le Noble Coran et les aḥādīth qui penchent de leur côté. Selon eux, les aḥādīth qui justifient les croyances des partisans de la première approche sont soit fabriqués, soit contiennent des chaînes de transmission faibles ou sont en contradiction avec le Noble Coran et l’histoire.

3. La troisième approche

Les partisans de cette troisième approche croient que les Ahl al-Bayt ne sont rien de plus que des savants vertueux (ʿulamāʾ abrār). Ils sont des autorités qui pourvoient une guidance, cependant ils ne sont pas désignés par leur nom, ni sont-ils des infaillibles ni possèdent-ils les caractéristiques que leur attribuent les partisans de la première approche.

Conclusion

Compte tenu de ces trois approches, nous constatons que le premier groupe accuse le second et le troisième groupe de manquement (taqṣīr) quant aux droits des Ahl al-Bayt et de renier la dimension divine de leur statut. Ils leur reprochent d’être influencés par les sunnites et par les écoles salafies en particulier.

D’après certains partisans du second groupe et les partisans du troisième groupe, le premier groupe est dans l’excès et dans l’exagération à l’égard des Ahl al-Bayt ; les Ahl al-bayt se sont détachés de ces exagérations (ghulūw) et les exagérations qu’ils ont dénoncées dans le passé ne concernaient pas leur déification, c’est-à-dire considérer les Ahl al-Bayt en lieu et place de Dieu, puisque personne n’a défendu une telle position, mais celles-ci sont similaires aux croyances de la première approche. D’ailleurs, nombreuses des déclarations des partisans du second et du troisième groupe assimilent les croyances du premier groupe à de l’associationnisme (shirk).

Le second groupe reproche au troisième groupe de suivre une fausse approche dans le fait de nier la désignation divine (naṣṣ) des Ahl al-Bayt et leur infaillibilité, choses qu’ils considèrent être vraies et présentes dans l’héritage, dans l’histoire et dans les aḥādīth chi’ites.

Selon le premier groupe, le troisième groupe ne fait pas partie du chi’isme car quiconque nie le caractère divin de la désignation des Ahl al-Bayt et leur infaillibilité ne peut pas être duodécimain ou imamite, d’aucune façon.

En s’appuyant sur tous ces éléments, nous devons chercher à comprendre les prémisses intellectuelles de chaque groupe, en particulier celles du premier et du second groupe. Nombreuses de ces discussions ne sont pas évidentes ni faciles, comme certains souhaiteraient le faire croire. En conséquence, il est nécessaire de ne pas hâter nos jugements sur les gens, en pensant que tout est noir ou blanc. Ces différents sujets étaient débattus et font toujours l’objet de contestations diverses entre les savants ; je n’ai pas le temps d’examiner chacune des croyances des savants duodécimains dans leurs détails, malgré l’existence d’un consensus relatif sur les fondamentaux tels que présentés par le second groupe. Ces détails, en excluant le troisième groupe, ne doivent pas devenir des prétextes pour pointer le doigt sur la religiosité et les croyances des gens. Chacun est libre dans son effort de réflexion théologique (kalāmī ijtihād) et d’autres ont le droit de la critiquer ainsi que de défendre leurs propres positions intellectuelles, d’une manière pacifique et académique.


[1] http://hobbollah.com/questions/الاتجاهات-المعاصرة-في-فهم-نظريّة-الإم

[2] Traduction à partir de la langue anglaise d’une question qui fut posée à Shaykh Haider Hobbollah.

[3] https://www.iqraonline.net/three-contemporary-approaches-to-understanding-the-imamah/

[4] http://hobbollah.com/السيرة-الذاتية/


Biographie de l’auteur

Shaykh Haider Hobbollah [4] est né en 1973 à Tyr au sud du Liban. Il est entré au séminaire religieux en 1988 et a émigré en Iran en 1995 pour poursuivre ses études supérieures. À partir de 2005, il commence à donner des cours avancés au Hawza de Qom en jurisprudence, en droit théorique et en étude des hadiçes. Il détient un Master en science coranique et science des hadiçes, ainsi qu’un Master en droit islamique.

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