Fév 06, 2021 Articles publiés

Qu’est-ce que la « médecine islamique » ? Une critique.


Résumé de l’article : Les plus grands chercheurs du séminaire religieux ont incessamment répété que nos traditions islamiques n’ont pas la capacité de nous fournir un système médical islamique, et théologiquement il n’est pas nécessaire d’espérer qu’une telle chose soit possible. Un système médical n’était pas l’objectif de la Sharī’ah et si vraiment cela avait été le cas, alors elle nous aurait fourni tous les outils nécessaires pour identifier les maladies, les causes de ces maladies ainsi qu’un guide complet pour les diagnostiquer et les guérir. Nous ne trouvons rien de tel dans nos traditions chi’ites.


Source : https://www.iqraonline.net/what-islamic-medicine/


1. Ayatollah ‘Abbās Tabrīziyān, père de la « médecine islamique » en Iran

Depuis le début de l’épidémie du coronavirus, les défenseurs de la soit-disante Ṭibb Islāmī (médecine islamique, à ne pas confondre avec la médecine traditionnelle) ont participé activement à une campagne de désinformation. Quelques jours plus tôt, un défenseur de Ṭibb Islāmī sous le nom de Taqīniyā [1] a interrompu une conférence d’officiels iraniens sur la crise sanitaire en cours qui s’est déroulée dans la ville sainte de Qom, sachant qu’il n’a pas été invité et qu’il a pénétré la réunion de force.

Taqīniyā est un élève de l’Ayatollah ‘Abbās Tabrīziyān [2], considéré comme le père de la médecine islamique en Iran et un homme qui a été condamné par de nombreux scientifiques y compris par les religieux du séminaire de Qom, surtout après qu’il a brûlé publiquement le livre Harrison’s Prinicples of Internal Medecine, suivant un geste symbolique d’opposition à la médecine occidentale.

Une fois que Taqīniyā s’est présenté au public en tant que représentant du courant Ṭibb Islāmī, un expert en santé, ayant douze ans d’expérience médicale, lui demanda d’où avait-il obtenu ses diplômes ? Il lui répondit qu’il était diplômé du séminaire religieux, ce à quoi les membres réunis ont répondu avec légitimité que les séminaires religieux n’étaient pas en mesure de délivrer un certificat en médecine.

Taqīniyā leur a rétorqué : « Dans ce cas, l’Imām Ṣādiq n’avait pas de compétences en médecine ? Prétendez-vous que vous avez besoin d’un certificat en médecine pour accepter les paroles de l’Imām Ṣādiq ? » L’un des membres lui expliqua : « Oui, nous avons besoin d’une source même s’il s’agit des paroles de l’Imām Ṣādiq ! », ce qui signifie que toutes les traditions qui lui sont attribuées ne viennent pas nécessairement de lui.

Comme si cette anecdote n’était pas suffisante, à la date du vingt-quatre février (2020), c’est-à-dire au début de l’épidémie en Iran, alors que les conseillers en santé recommandaient aux gens d’éviter les congrégations religieuses, le groupe officiel de l’Ayatollah ‘Abbās Tabrīziyān sur l’application Telegram, publiait le message ci-dessous.

Sur le fait d’assister aux réunions publiques

Nous invitons tout le monde à préserver leurs liens familiaux (ṣila raḥim), les liens de sang et les membres de famille doivent se rassembler et participer aux commémorations dédiées aux Ahlu-l-Bayt. Ils doivent réciter la Ziyārat ‘Āshūra, trouver refuge dans le sanctuaire de Ma’ṣūmah Qom et suivre les recommandations de la médecine islamique, faire usage de la médecine de l’Imām Kāẓim, car le saint-Prophète a dit dans la tradition de Naḍr b. Qirwāsh : « Il n’y a rien de tel que ce qui est appelé « une contagion », car qui aurait infecté la première personne infectée et comment une maladie peut-elle se transmettre à autrui ? Par conséquent, il n’arrivera rien. » [3]

Les savants ne devraient plus assister aux cours du séminaire religieux, car il existe un danger là-bas – il y a 90% de chance d’être infectés. Un séminaire qui n’est même pas capable de soigner une grippe, devrait fermer ses portes. Les autorités de santé ne pourront pas vaincre cette maladie, il est préférable qu’ils mettent un terme aux cours.

Mais l’affaire ne s’arrête pas ici, le bureau officiel de l’Ayatollah ‘Abbās Tabrīziyān envoya aux ambassadeurs de Chine et de la Corée du Sud en Iran, des lettres officielles leur proposant leur aide médicale. Malheureusement, de nombreuses personnes en raison de leur ignorance ou d’une faible connaissance de la théologie islamique, ou tout simplement d’un attachement psychologique à la pseudo-science et aux pratiques rituelles, ont été victimes de l’idée selon laquelle il existait une discipline appelée « médecine islamique » ou Ṭibb Islāmī. Cette idée n’est pas partagée par les autorités religieuses chi’ites au sein du séminaire. Dans ce qui suit, nous recourrons aux opinions d’autorités religieuses chi’ites pour réfuter le nouveau phénomène connu sous le nom de Ṭibb Islāmī ou médecine islamique.

2. Avis de quelques autorités religieuses chi’ites sur la « médecine islamique »

Shaykh Muḥammad ‘Andalīb-Zādeh, ancien membre de la Jāmi’ al-Mudarrisīn et un enseignant titulaire du séminaire, a fréquemment rappelé que la médecine islamique, c’est-à-dire un système médical holistique reposant sur les traditions islamiques et les versets coraniques, n’était rien d’autre qu’un grand mensonge [4].  Les plus grands chercheurs du séminaire ont incessamment répété que nos traditions islamiques n’ont pas la capacité de nous fournir un système médical islamique et théologiquement il n’est pas nécessaire d’espérer qu’une telle chose soit possible.

Ayatollah Shubayrī Zanjānī declare [5] : « La plupart des narrations à caractère médical n’ont pas de chaînes de transmission valides et ne peuvent pas être attribuées avec certitude aux Ahlu-l-Bayt. Celles qui ont une chaîne de transmission valide peuvent être utilisées, mais si nous nous arrêtons à la signification littérale, alors rien ne peut être déduit avec certitude, il ne s’agit que de spéculations. Et si de telles traditions allaient contre les découvertes scientifiques, alors elles ne seraient plus fiables.

Certaines personnes les considèrent comme certaines et tombent dans un dilemme difficile. Ces narrations ne permettent pas d’atteindre la certitude. Si les narrations de type faible ne doivent pas être rejetées purement et simplement, celles fiables ne doivent pas être prises au mot, cela pour éviter des problèmes dans le futur. Ces traditions peuvent convaincre le peuple, mais il ne s’agit pas d’une conviction que nous atteignons dans les séminaires religieux. Si les besoins de la société nécessitent la pratique de la médecine traditionnelle sous certaines conditions, alors il n’y a aucun problème, tant que ceux qui défendent cette pratique prennent leurs responsabilités quant aux prescriptions. Toutefois, si la prescription n’était pas appuyée par l’avis des experts sur ce sujet, en raison de la faiblesse d’une chaîne de transmission ou d’un sens ambigu, alors il faudrait éviter de les attribuer avec certitude aux Ahlu-l-Bayt. Bien sûr, si l’attribution est certaine et que la signification des narrations est claire, qu’il n’y a pas de preuves – mathématiques – contre elles, alors il n’y aucune raison d’aller contre. »

Sayyid Kāzim Ṭabatabā’ī, doyen de la chaire Dār al-Ḥadīth, à Qom écrit [6] : « Je suis contre l’utilisation de l’expression Ṭibb Islāmī. Ce qui signifie que je ne crois pas que l’objectif initial de la religion et de la Sharī’ah a été d’établir un système médical. Un système médical n’était pas l’objectif de la Sharī’ah et si vraiment cela avait été le cas, alors elle nous aurait fourni tous les outils nécessaires pour identifier les maladies, les causes de ces maladies ainsi qu’un guide complet pour les diagnostiquer et les guérir. Nous ne trouvons rien de tel dans nos traditions chi’ites.

Le défunt ‘Allamah Ṭabatabā’ī était d’avis que l’objectif de la religion était celui de guider (hidāyah). Notre approche est identique, c’est-à-dire que la religion n’a qu’une seule responsabilité, celle de nous guider. Il y a environs quatre cents ouvrages chi’ites sur les narrations (ḥadīth) et ils n’ont pas la même valeur. Si quelqu’un souhaite étudier les narrations chi’ites, il doit d’abord se familiariser avec leurs sources. Si quelqu’un venait à prétendre qu’il aime la ‘médecine islamique’ et qu’il citait une narration du livre Ṭibb al-Ā’immah de Ibn Basṭām et qu’il citait une autre narration de al-Kāfi relative à la même chose, alors il devrait savoir qu’il existe une différence significative entre ces deux œuvres. En effet, il n’y a aucun moyen de considérer tous les ouvrages de narrations avec le même degré de fiabilité.

À l’institut Dār al-Ḥadīth, nous avons rassemblé toutes les narrations, aussi bien les authentiques que celles qui ne le sont pas, totalisant environ six mille sur le thème médical – qu’elles aient une chaîne de transmission ou pas, qu’elles soient exactes ou inexactes. Sur le thème médical, nous avons six mille narrations dont seulement 15% possèdent une chaîne de transmission, soit moins de mille narrations. Ce qui signifie que 85% des narrations ne possèdent pas de chaînes de transmission. Parmi les 15%, seulement 5% ont une chaîne authentique et la plupart se trouvent dans al-Kāfi. Elles concernent des recommandations diététiques, en conséquence elles ne nous sont d’aucune aide pour identifier les maladies ni les guérir. Nous avons très peu de narrations concernant la guérison des pathologies, la majorité concernent la nourriture, ou des consignes générales pour rester en bonne santé, sous la forme de mesures préventives. Moins de 1% parmi les narrations authentiques concernent le traitement des maladies, soit moins de soixante narrations sur ce sujet. On peut expliquer cela par la mission de la religion qui n’est pas celle de guérir le corps des gens. »

Ayatollah Jawādī Āmulī, philosophe, mystique, exégète et juriste à Qom, déclare [7] : « À quoi vous faites référence quand vous parlez de ‘médecine prophétique’ ou Ṭibb Nabawī ? À une poignée de narrations qui n’ont pas été analysées, ni étudiées et qui n’ont pas de chaînes de transmission. Ceux qui ont mené des recherches disent que parmi les six mille narrations, seules 5% possèdent une chaîne de transmission. Par-dessus tout, ces narrations comme toutes les autres, sont caractérisées selon qu’elles sont iṭlāq ou taqyīd, ‘ām ou khāṣ, ḥākim ou maḥkūm, ẓāhir ou aẓhar, naṣṣ ou ẓāhir. C’est de cette façon que nous sommes censés les analyser et ce qui est important c’est l’expérimentation – elles doivent être testées empiriquement. »

Sayyid ‘Abdullah Fātemīniyā, spécialiste en éthique, écrit [8] : « Trois ou quatre ans plus tôt, je suis allé voir les bureaux de la chaîne IRIB et leur a demandé solennellement au nom de Dame Zahrā’ d’arrêter d’utiliser l’expression ‘médecine islamique’. Finalement, ils ont commencé à l’utiliser moins fréquemment et hier j’ai lu que le ministre de la santé a dit qu’il ne faudrait plus utiliser l’expression ‘médecine islamique’. Je prie pour lui et que Dieu le récompense. Mes sœurs et mes frères, par Dieu soyez attentifs. Ce n’est pas parce que quelqu’un vous dit qu’il existe une narration que cela signifie qu’elle est authentique. Ce n’est pas parce que vous voyez une narration en lien avec la médecine que vous commencez à l’appeler ‘médecine islamique’ – qu’est-ce que c’est que cette absurdité ?

Shaykh Ṣadūq prétend que certaines traditions sont contextuelles, liées à une période particulière. Ces narrations fonctionnaient pour certaines personnes à un moment donné et elles ne fonctionneront pas pour qu’autres à un autre moment. Il dit également que certaines sont fabriquées. Distinguer les traditions fabriquées de celles fiables demande une méthodologie et une clairvoyance. À la place, ce que nous observons ce sont des gens qui chantent ‘Ṭibb Islāmī, Ṭibb Islāmī !’ – qu’est-ce que c’est que ça ? Ils ont fini par attribuer le traité Risālah al-Dhahabīyyah à l’Imām Riḍā. J’ai fait des recherches et j’en ai conclu que ce traité n’était pas de lui. Il y a des narrateurs pour lesquels les spécialistes des biographies ont dit que leurs narrations n’étaient pas acceptables. Est-ce que l’Imām Riḍā n’avait rien d’autre à faire que d’écrire un traité de médecine pour le calife Ma’mūn ? »

Ayatollah Sayyid ‘Alawī Borūjerdī, petit-fils de l’Ayatollah Borūjerdī écrit [9] : « L’un des problèmes que nous avons à notre époque c’est que parfois au nom de la religion et au nom de l’Islām, nous mettons de côté les expériences scientifiques et les études médicales, c’est une attitude très dangereuse. Aujourd’hui nous avons le phénomène de Ṭibb Islāmī : c’est un concept non-valide, qui connaît une grande popularité. Même dans les séminaires religieux, certains ont commencé à défendre ce concept. Nous n’avons rien de tel qui est appelé ‘médecine islamique’. Le saint-Prophète, lui-même, consultait un médecin quand il tombait malade, pareil pour l’Imām ‘Alī et l’Imām Ṣādiq. Certes, nous avons des narrations de certains a’immā, comme l’Imām Riḍā ou l’Imām Ṣādiq, mais ces traditions sont des recommandations (ḥukm irshādī).

D’après l’Ayatollah Borūjerdī, ce genre de recommandations doit être lu selon leur propre contexte : à quel moment et dans quel environnement. Dans quelle condition était la personne qui avait consulté les a’immā ? Nous ne faisons aucune recherche sur ces questions et nous pensons que ces traditions ont une portée législative (ḥukm mawlawī) ou qu’elles sont des révélations, et nous finissons par les utiliser en médecine. Il est possible que ces traitements fonctionnent, mais il est aussi possible qu’ils ne fonctionnent pas. »

Ayatollah Sayyid ‘Alam al-Hoda, représentant de l’Ayatollah Ali Khamenei dans la ville de Khorasān et imām de la prière de Vendredi dans le mausolée de l’Imām Riḍā dit [10] : « Il n’y a rien de tel en Islām que ce qui est appelé Ṭibb Islāmī. Si une telle chose avait existé, les a’immā qui auraient été la source d’une telle science ne consulteraient pas les médecins de leur époque. Il est même arrivé que les a’immā consultent des médecins non-Musulmans. La médecine traditionnelle est une chose acceptée, mais nous n’avons pas de ‘médecine islamique’, c’est-à-dire des sources religieuses qui nous apprennent à identifier les maladies et à les guérir. »

Sayyid Muḥammad Ṣādiq ‘Alam al-Hoda, enseignant au séminaire de Qom et fils de l’Ayatollah ‘Abdul Hādī ‘Alam al-Hoda, a écrit une réponse au message public de l’Ayatollah ‘Abbās Tabrīzīyān, dont nous proposons ci-dessous une traduction [11].

« Ces personnes jouent avec la vie des gens qui ont une compréhension simpliste des narrations. Après la propagation du coronavirus en Iran, la chaîne (Telegram) des défenseurs de Ṭibb Islāmī ont rejeté la nature contagieuse du virus et dans un message – pour lequel une investigation légale doit être menée – ont demandé aux gens de participer aux rassemblements familiaux et religieux, et d’ignorer les appels du ministère de la santé. J’ai déjà critiqué les fondements fragiles de leur médecine à de nombreuses reprises et j’ai souligné qu’ils avaient une méthodologie invalide pour dériver des prescriptions médicales à partir des traditions. Ces critiques ont été publiées en détail et je n’ai reçu pas une seule réponse des défenseurs de ce mouvement. Je souhaite à présent formuler une critique explicite de l’une de leurs prescriptions pour qu’il soit clairement montré que leur compréhension des traditions est simpliste et fausse, et à travers laquelle ils mettent en danger la vie des gens (puis, il critique leur compréhension des traditions de manière très technique) ».

Par le passé, il a dit la chose suivante [12] : « Nous ne parlons pas de la médecine traditionnelle, notre discussion porte plutôt sur la ‘médecine islamique’. La Sharī’ah n’a aucune responsabilité dans la construction d’un système médical. L’intellect ne dicte pas une telle responsabilité à Dieu ni une telle thématique n’a été décrite dans nos sources. La religion islamique n’a pas cette responsabilité sur ses épaules. En tant que tel, si Dieu ne rentre pas dans les détails médicaux, alors cela ne signifie pas que la Sharī’ah est défaillante. De plus, la seule présence de quelques traditions dont le contenu est de nature médicale ne signifie pas qu’il existe un système médical parallèle en Islām ou que les a’immā aient exprimé une telle volonté, c’est-à-dire d’offrir un système médical différent et en opposition aux pratiques médicales qui sont communément acceptées par les êtres humains, à chaque époque et dans chaque espace géographique. »


[1] https://plus.irna.ir/news/83705550/

[2] https://web.archive.org/web/20160826031214/http://abbastabrizian.ir/

[3] al-Kāfī, vol. 8

[4] http://www.andalibhamedani.ir/posts/281363-110

[5] http://mobahesat.ir/15274

[6] https://t.me/namehayehawzavi

[7] https://www.aparat.com/v/eHDMa

[8] https://www.nasimonline.ir/Content/Detail/2331324

[9] https://fa.shafaqna.com/news/707900/

[10] https://www.irna.ir/news/83171881/ ; http://www.iribnews.ir/fa/news/2101374/

[11] https://t.me/Alamolhoda_ir/532/

[12] http://ijtihadnet.ir/


Biographie de l’auteur

Sayyid Ali Imran étudie au séminaire religieux de Qom depuis plus de huit ans. Il a assisté aux cours avancés en jurisprudence (bahth al-kharij) et en droit théorique musulman tout en étudiant la philosophie. Il a obtenu un Master en Études Islamiques de l’Islamic College London. Son domaine de spécialisation est l’étude de la transmission des textes (naqliyyat).

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