Fév 06, 2021 Articles publiés

Liberté intellectuelle, censure et esprit de l’Islam


Résumé de l’article : Le principe de la liberté intellectuelle est un idéal en Islam auquel le Musulman doit se conformer. Il existe toutefois une contradiction entre ce principe et ce que les sociétés/communautés musulmanes montrent à voir, c’est-à-dire des barrières de censure érigées pour protéger les masses contre les opinions intellectuelles qui remettent en question l’opinion dominante.


Source : https://themuslimvibe.com/faith-islam/intellectual-freedom-censorship-and-the-spirit-of-islam


Il est évident pour tout le monde que l’Islam est un ensemble de principes qui définissent un idéal auquel les musulmans ne parviennent souvent pas à se conformer.  Parmi ces nobles principes se trouve la liberté laissée à l’intellect de manœuvrer, de mettre en question, et de se défaire d’idées erronées pour les remplacer par d’autres plus exactes. Or nous ne pouvons pas nier qu’il y a contradiction avec cette éthique dans plusieurs sociétés musulmanes où des barrières de censure sont érigées pour protéger les masses contre les opinions intellectuelles qui remettent en question l’opinion dominante, qu’elle soit de nature idéologique ou autre.

Il est alors ironique de constater que la naissance de l’Islam puis sa progression n’ont été rendues possibles que par la démolition de telles barrières ; et que la censure intellectuelle était un instrument sur lequel comptaient les opposants à l’Islam. L’interdiction faite à Al-Ṭufayl ibn ‘Umar d’écouter le Saint Prophète, de peur que celui-ci ne se convertisse, n’était en aucun cas, un cas isolé [1].

Il se pourrait bien que la censure imposée à la Mecque il y a 1400 ans ait été décrétée afin de protéger les positions prestigieuses, financières et sociales de l’élite Quraychite ; il se pourrait également que la censure intellectuelle dans les sociétés musulmanes d’aujourd’hui ne soit pas toujours le fait de motifs aussi sinistres et égoïstes.

Néanmoins le besoin frénétique de réduire au silence les opinions qui remettent en question le statu quo est le fruit amer de l’insécurité ; soit de peur que les idées auxquelles nous adhérons depuis si longtemps s’effondrent face à un argument plus incontestable, soit qu’il nous manque les capacités scientifiques pour défendre intellectuellement les croyances que nous maintenons, aussi justes soient-elles.

La philosophie islamique, la jurisprudence et même les convictions idéologiques de l’Islam ont toutes évoluées au fil du temps du fait de la volonté de savants dotés d’esprit critique, d’alimenter des idées novatrices dans un esprit poppérien [2].

On trouve pléthore d’exemples dans l’histoire primitive de l’Islam de comment les descendants du Saint Prophète débattaient, discutaient et défiaient intellectuellement les conjectures idéologiques et jurisprudentielles avancées par les moins savants. Fuir tout débat ou tenter de réprimer des opinions opposées n’aurait pas été approprié de leur part.

Par conséquent, il est regrettable de constater qu’on considère désormais acceptable que des personnalités religieuses faisant autorité censurent et réduisent au silence des opinions académiques qui ne sont pas en conformité avec ce qui s’éloigne du courant dominant [‘mainstream’], que ces opinions soient correctes ou pas.

Cette tendance malheureuse a pour conséquence d’engourdir l’intelligence collective de la communauté musulmane, en la protégeant des opinions controversées, en la gardant par condescendance éloignée de tout exercice mental dans un contexte religieux.

Pourtant, le refus de s’intéresser et d’alimenter des opinions divergentes, et le fait de les rendre inaccessibles à la communauté par le rempart de censure, pourraient mener à une possibilité encore plus périlleuse: et s’ils avaient raison.


[1] Majlisi, M. B. (1988). Biḥār al-Anwār. Beirut: Dar al-Fiqh. v. 17, p. 81.

[2] « Je parle du développement des connaissances scientifiques, l’élimination réitérée de théories scientifiques, remplacées par des théories meilleures ou plus satisfaisantes », voir : Popper, K. (1963). Conjectures and Refutations. London: Routledge Publications. p. 215.


Biographie de l’auteur

Shaykh Muhammed Reza Tajri a commencé son cursus universitaire par des études en science informatique à City University. Il a continué ses études en Licence d’Études Islamiques à Middlesex University (2007) tout en poursuivant des études traditionnelles en sciences islamiques au Séminaire Islamique de Londres. Il est diplômé en Étude Avancée de Langue Arabe (grammaire, poésie) de l’Université de Damas, où il a également suivi des cours au Séminaire Islamique Imam Khomeini. Il a ensuite poursuivi des études en Master d’Études Islamiques à Middlesex University (2010) et un second Master en « Islam in Contemporary Britain » à Cardiff University (2013). Aujourd’hui il occupe un poste d’enseignant à l’Institut al-Mahdi (Birmingham), et poursuit en même temps un Doctorat à Lancaster University au département Politique, Philosophie et Religion.

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