Source : https://www.youtube.com/watch?v=ZWPnRzNI2Fk
Interrogation [0] : Une question pressante qui vient à l’esprit des membres de la communauté des khojas duodécimains concernant notre approche critique – sur les croyances, les dogmes, l’extrémisme ou l’exagération (ghulūw), les pratiques rituelles contraires aux enseignements coraniques et des Ahlu-l-Bayt – est de connaître la raison de notre sensibilisation active et zélée sur ces thématiques, sachant que les autorités chi’ites les plus distinguées (marājiʿ) n’en disent mot ou ne dénoncent pas avec force ces supposées déviations des croyances et pratiques populaires au sein de la communauté, et qu’au final, nous donnons l’impression d’être les seuls à les mettre en lumière [1].
Réponse courte : Les marājiʿ ne sont pas totalement silencieux sur ce sujet. Le matériel critique que nous présentons aux membres de la communauté des khojas duodécimains pour appuyer nos dires est tiré des travaux de recherches avancées des marājiʿ et des mujtahidūn (experts en lois islamiques) dans lesquels ils reconnaissent l’existence de ces déviations. Ils sont, par conséquent, au courant de ces déviations qui existent au sein du chi’isme duodécimain et nombre d’entre eux ont élevé leur voix contre celles-ci. Cependant, ce qui fait défaut, c’est la volonté au sein de la marja’iyyat (l’autorité religieuse centrale) de mener un front commun contre les croyances et les pratiques erronées des chi’ites duodécimains [2].
Réponse élaborée : Pour éviter de répondre de manière spéculative, nous nous réfèrerons à la biographie la plus complète de l’Ayatollah Muhammad Baqir al-Sadr, qui fut un marjāʿ (autorité d’imitation) et un mujtahid hors-pair à son époque. Cette biographie officielle en cinq volumes [3] a été écrite par Allamah Shaykh Ahmad Abdullah Abu Zayd al-Amili, qui est lui-même un mujtahid ayant obtenu sa qualification sous la tutelle de feu l’Ayatollah Mahmud Hashemi Shahrudi. Elle a, donc, été écrite par une personne qui a passé sa vie au sein des séminaires religieux et y enseigne encore aujourd’hui à Qom. Cette biographie est très détaillée, contenant toutes les références, et s’appuie sur des documents d’archives et témoignages de première main.
À deux endroits dans cette collection, dans le volume 1 à la page 51 ainsi que dans le volume 2 à la page 101, il mentionne une anecdote sur un éditeur de livre qui souhaitait obtenir les droits de publication de l’ouvrage célèbre de l’Ayatollah al-Sadr intitulé ‘Notre Économie’ (اقتصادنا). Il se rendit à la rencontre d’al-Sadr pour lui demander l’autorisation et arriva à Najaf après l’heure de la salāt al-ẓuhr. Il ne souhaitait pas déranger l’éminent savant car c’était l’heure de la sieste. Il se rendit directement au mausolée de ʿAlī pour y passer un peu de temps et revenir voir al-Sadr plus tard. Il entra dans le mausolée et s’assit pour observer ce qui se passait autour de lui ; il fut dégoûté par ce qu’il observa. Plus tard, il rejoignit le domicile d’al-Sadr et discuta des droits de son livre ‘Notre Économie’.
- Avant de le quitter, il lui a décrit la scène qu’il avait vue au mausolée de ʿAlī et lui a fait la remarque suivante : « Vous êtes les savants (représentant les chi’ites). Vous vivez juste à côté du mausolée de ʿAlī. Et qu’est-ce que je vois dans le mausolée ? Vous êtes certainement au courant de tout ce qui s’y passe. N’est-il pas obligatoire pour vous, les savants, d’arrêter les fidèles de pratiquer de tels actes ? N’est-ce pas votre devoir et votre responsabilité d’interdire à ces gens ce qu’ils font ? ».
- Al-Sadr sourit et lui répondit avec transparence : « Le point faible des savants sunnites est qu’ils reçoivent leur salaire de leur gouvernement respectif. En conséquence, ils doivent rester silencieux face aux problèmes d’ordre social ou politique. Notre plus grande faiblesse, en tant que savants chi’ites, est que nous dépendons de la masse pour nos sources de revenus (ici, le khums). Donc, nous devons observer un soupçon de silence. » [4]
L’auteur de la biographie continue : « Certains lecteurs rejetteront ce qui a été rapporté en pensant qu’il est impossible que ce soit le cas. Ils seront choqués en découvrant que l’aspect financier (ndt. leur dépendance à l’argent du peuple) oriente la trajectoire des politiques menées par la marja’iyyat. ». En d’autres termes, la marja’iyyat sélectionne les combats qu’elle veut mener et reste silencieuse sur d’autres en raison de cette contrainte d’ordre financier.
Il continue : « Je compatis avec les lecteurs naïfs qui sont bouleversés par cette vérité qu’ils découvrent. ». En d’autres termes, nous pouvons comparer cette attitude naïve avec celle des membres de la communauté des khojas duodécimains qui ont une vision idéalisée, angélique ou utopique de la marja’iyyat.
Il continue : « Je suis au courant du type d’éducation que reçoit le public chi’ite naïf qui attribue à la marja’iyyat des vertus sacrées et aux personnalités qui la composent. Je fus moi-même pendant un temps assez naïf, alors que la réalité du terrain est très différente. ». En d’autres termes, la marja’iyyat est une institution humaine et non angélique, et aucune de ses personnalités n’est en lien direct avec le douzième imām.
Il continue : « Je ne fus pas secoué par ce récit car j’ai pris l’habitude de connaître le terrain réel de la marja’iyyat. ». En d’autres termes, si la marja’iyyat commençait à critiquer tout ce que la masse chi’ite faisait ouvertement, elle s’écroulerait en tant qu’institution.
Ce que nous, en tant que groupe appelé Islaah, nous présentons à notre public n’est que la surface visible de l’iceberg ; une partie importante est toujours cachée de la vue de la masse chi’ite. Nous souhaitons que les membres de la communauté des khojas duodécimains abandonnent cette mentalité naïve qui consiste à suivre de manière aveugle les marājiʿ chi’ites. « Ne trompez pas les autres et ne soyez pas trompés », disaient les Ahlu-l-Bayt. Cette fausse idéologie qui circule au sein de notre communauté prétendant que le marjāʿ sera responsable le jour de Jugement et que nous en serons dédouanés, n’existe nulle part dans le Noble Coran. Cette situation ressemble à celle des Juifs cités dans le verset 80 de la sourate 2 : « Et ils ont dit: « Le Feu ne nous touchera que pour quelques jours comptés ! » Dis: « Auriez-vous pris un engagement avec Allah -car Allah ne manque jamais à Son engagement; -non, mais vous dites sur Allah ce que vous ne savez pas ».
Solutions proposées :
1) Inciter les prêcheurs pensionnaires (resident ʿalīm) qui reçoivent un salaire mensuel de la part de la communauté à lire les ouvrages de recherches avancées écrits par les marājiʿ chi’ites pour qu’ils vous éduquent conformément au Noble Coran et aux traditions authentiques des Ahlu-l-Bayt. S’ils ne le font pas, le font-ils par paresse, par incompétence, par désintérêt pour ce type de recherches avancées ?
2) La communauté, dans son ensemble, doit mûrir car les savants contemporains chi’ites craignent l’immaturité de la masse d’où ce silence assourdissant de leur part. Elle doit rester vigilante sur les propos qu’elle ne trouve pas logiques, formulés depuis les manābir et demander systématiquement des comptes aux prêcheurs. Dans les temps anciens, de grands savants chi’ites comme ʿAllāma al-Majlisī (1627-1698), Syed Niʿmatullāh al-Jazāʾirī (1640-1701) ou Muḥaddith Nurī (1839-1902) ont propagé et défendu de fausses croyances sur la falsification du Noble Coran comme s’il s’agissait de croyances centrales au chi’isme duodécimain. Pour l’instant, la marja’iyyat est incapable de mener des réformes théologiques au niveau des populations chi’ites ; c’est aux communautés locales de prendre les choses en main.
3) Prêcheur ou savant religieux, est-ce un vrai métier ? En éthique islamique, il y a une tradition authentifiée de notre Saint-Prophète rapportée par Ibn Abbas. « Chaque fois que le prophète voyait une nouvelle personne dans la communauté et qu’il était impressionné par son apparence, la première question qu’il posait était la suivante : ‘Est-ce que cette personne a une profession ?’. Si on lui répondait par la négative, il répondait : ‘Cette personne a perdu mon respect.’. Les gens lui demandèrent : ‘Comment est-ce possible ?’. Il répondit : ‘Un croyant qui n’a pas de profession commencera à vendre la religion au plus offrant.’ ». N’est-ce pas ici la raison pour laquelle les prêcheurs pensionnaires (resident ʿalīm) se taisent et ne dénoncent pas haut et fort les déviations de croyances et de pratiques car ils veulent plaire aux membres de la communauté ? En d’autres termes, que quelqu’un soit un simple prêcheur, un mujtahid ou un marjāʿ, cette personne doit être indépendante financièrement et posséder des compétences autres que dans le domaine de la religion, cette dernière ne doit être poursuivie comme discipline de recherche qu’en dehors de son temps de travail officiel, sa carrière professionnelle, c’est-à-dire pendant son temps libre et ne doit pas gagner sa vie sur le dos de la religion. L’exemple d’al-Sadr, en tant que savant chi’ite dont les mains étaient liées en raison de sa dépendance à l’argent public (ici, le khums), est suffisant pour repenser le métier de prêcheur ou de savant religieux.
« Certes ceux qui cachent ce que Nous avons fait descendre en fait de preuves et de guide après l’exposé que Nous en avons fait aux gens, dans le Livre, voilà ceux qu’Allah maudit et que les maudisseurs maudissent, sauf ceux qui se sont repentis, corrigés et déclarés: d’eux Je reçois le repentir. Car c’est Moi, l’Accueillant au repentir, le Miséricordieux. » (Sourate 2, Verset 159-60)
[0] Il s’agit d’une traduction libre d’une vidéo disponible sur Youtube, intitulée « Why marja are silent? ».
[1] https://www.youtube.com/@Al-Islaah
[2] Interrogation du traducteur : De quelle manière la marja’iyyat remplit-elle alors son rôle de guidance spirituelle et quelle légitimité peut-elle avoir auprès des chi’ites duodécimains si elle ne remplit pas ce pourquoi elle a été mise en place, en tant qu’institution religieuse ? Pourquoi les chi’ites duodécimains seraient-ils dans l’obligation de prendre au sérieux une telle institution religieuse et ceux qui la composent ? Si la marja’iyyat est incapable de remplir sa fonction ou ses fonctions, alors il faut demander sa dissolution pour la remplacer par des structures religieuses locales plus efficace ; étant donné que cette institution n’a aucune sacralité, jusqu’à la preuve du contraire, sa dissolution ne devrait poser aucun problème structurel au sein du monde chi’ite, sauf si des intérêts financiers et géopolitiques y sont liés.
[3] .محمد باقر الصدر السيرة والمسيرة في حقائق ووثائق
[4] Interrogation du traducteur : S’agit-il d’un soupçon de silence ou plus qu’un soupçon ? Comment peut-on mesurer ce silence objectivement ? L’Ayatollah Abdallāh Māmaqānī, auteur de l’encyclopédie intitulée Tanqīḥ al-maqāl fī aḥwāl al-rijāl de 39 volumes écrit : « Certes, la majorité de ce qui est considéré aujourd’hui comme faisant partie des croyances fondamentales (non-négociables) de l’école (maḏhab) chi’ite duodécimaine, en particulier tout ce qui est relatif aux attributs et aux descriptions des imāms des Ahl-l-Bayt était considérée pendant la période classique du chi’isme comme de l’exagération et comme de l’hérésie. »
Biographie de l’auteur
Dr. Syed Ali Hur Kamoonpuri a un doctorat en Langue et Littérature Arabe de l’Université Aligarh Muslim en Inde. Sa thèse de doctorat rédigée en langue arabe est intitulée « The contribution of Ibn Abil Hadeed al-Madaini (d. 656 AH) to Arabic Language and Literature ». Il occupe un poste de professeur adjoint dans cette même université.